Le syndrome de la Guinée : Quand le rejet du passé hypothèque l'avenir

Le destin de la Guinée semble porter l'empreinte d'une malédiction, celle d'avoir tourné le dos à l'héritage de son père fondateur, Ahmed Sékou Touré. Cette tragédie nationale, qui se déroule depuis près de quatre décennies, trouve ses racines dans le reniement systématique des principes fondamentaux établis par celui qui osa dire "non" à la France en 1958.

Petit-fils de l'Almamy Samory Touré, figure légendaire de la résistance à la colonisation française, Sékou Touré incarnait la continuité d'une lignée de leaders africains déterminés à préserver la dignité de leur peuple. Son parcours, de simple employé des PTT à leader syndical puis président de la nation, témoigne d'une ascension guidée par une vision claire : celle d'une Afrique libre et prospère.

Le courage historique dont il fit preuve en 1958, en étant le seul leader d'Afrique francophone à rejeter la Communauté française proposée par le général de Gaulle, illustre sa détermination à privilégier une indépendance totale plutôt qu'une autonomie limitée. Sa célèbre déclaration "Nous préférons la liberté dans la pauvreté que la richesse dans l'esclavage" reste gravée dans la mémoire collective comme le symbole d'une fierté nationale aujourd'hui perdue.

La Guinée post-Sékou Touré présente un contraste saisissant avec les ambitions de son premier président. Le coup d'État militaire de 1984, survenu une semaine après sa mort, marque le début d'un processus systématique de démantèlement de son héritage. Les entreprises publiques, symboles de la souveraineté économique nationale, ont été privatisées puis ont disparu. Air Guinée, fleuron de l'aviation nationale, n'est plus qu'un souvenir, illustrant parfaitement cette déchéance.

Malgré des ressources naturelles considérables, notamment minières et hydrauliques, la Guinée s'enfonce dans une pauvreté paradoxale. L'abandon des politiques de développement autonome a laissé place à une exploitation désordonnée des ressources, principalement au profit d'intérêts étrangers et d'une élite locale corrompue.

Sous Sékou Touré, la Guinée était un phare du panafricanisme, aux côtés du Ghana de Nkrumah. Le pays accueillait des figures de la lutte anti-coloniale et soutenait les mouvements de libération, comme l'ANC de Nelson Mandela. Aujourd'hui, la voix de la Guinée sur la scène internationale s'est tue.

La corruption endémique qui gangrène l'administration guinéenne contraste violemment avec les principes d'intégrité et de service public prônés par Sékou Touré. Les détournements de fonds publics et la violation des droits fondamentaux sont devenus monnaie courante.

Dans leur empressement à tourner la page Sékou Touré, les dirigeants successifs ont jeté le bébé avec l'eau du bain, abandonnant même les aspects positifs de son héritage. Cette rupture brutale avec le passé a créé un vide idéologique et moral que rien n'est venu combler.

L'histoire de la résistance guinéenne à la domination étrangère, de Samory Touré à Sékou Touré, portait des enseignements précieux sur l'importance de l'unité nationale et de la souveraineté économique. Ces leçons ont été oubliées au profit d'un alignement sur les intérêts étrangers.

Les classes dirigeantes qui ont succédé à Sékou Touré ont préféré leur enrichissement personnel à l'intérêt national. Cette trahison est d'autant plus grave qu'elle s'oppose directement aux principes de service public et de développement collectif défendus par le premier président.

Dans un pays regorgeant de ressources naturelles, la majorité de la population vit dans une pauvreté extrême. L'accès à l'eau potable, à l'électricité et aux services de base reste problématique, même dans la capitale.

Les coups d'État successifs et l'incapacité à établir une démocratie stable témoignent d'une malédiction politique qui trouve ses racines dans le reniement des principes de gouvernance nationale indépendante.

La Guinée, qui fut un modèle de fierté nationale et de résistance au néocolonialisme, peine aujourd'hui à définir son projet national. La jeunesse, déconnectée de son histoire, cherche désespérément des repères.

La malédiction qui pèse sur la Guinée n'est pas une fatalité. Elle est le résultat de choix politiques et de renoncements successifs qui peuvent être corrigés. La réhabilitation de l'héritage de Sékou Touré ne signifie pas un retour aveugle à toutes ses politiques, mais plutôt une reconnaissance lucide de ses apports positifs : la fierté nationale, l'ambition d'un développement autonome, et la vision d'une Afrique unie et prospère.

Le dépassement de cette malédiction nécessite une réconciliation avec l'histoire nationale, une lutte déterminée contre la corruption, et la reconstruction d'un projet national inspiré des meilleurs aspects de l'héritage de Sékou Touré. C'est à ce prix que la Guinée pourra sortir du cycle de la malédiction et renouer avec ses ambitions de grandeur et de développement.

Que Dieu bénisse la Guinée.